Les forestiers français sont de loin les meilleurs élèves de la biodiversité en France, même métropolitaine. Aucune espèce animale du biotope forestier, endémique à nos territoires (triton crêté, salamandre, sonneurs à ventre jaune, etc.), n’est menacée. Elles sont même en bonne santé, et pour les ongulés, il y a une situation de surpopulation qui est devenue problématique. La forêt France n’a jamais été aussi giboyeuse.
Ce succès est à mettre en relief avec d’autres acteurs, tel que les domaines agricoles, marins, ou des eaux intérieures, où les activités humaines de notre époque contemporaine ont eu des impacts négatifs sur la faune, les habitats et les écosystèmes. Par exemple : la quasi-disparition de la perdrix, hôte des plaines et des bocages d’une agriculture ancienne, ayant subi la mécanisation lourde en agriculture, les intrants (pesticides, herbicides et fongicides) et les changements paysagers avec le remembrement, l’effacement des haies, talus, fossés, chemins, bosquets…
En revanche, durant cette même période, l’addition de la déprise agricole et de politiques forestières nationales tels que le Fond Forestier National, et autres origines de l’accroissement constant de la surface forestière, les ongulés (chevreuils, cerfs élaphes, sangliers, chamois, mouflon, isards) ont vus leurs effectifs exploser. La forêt française est restée un habitat de choix pour toute la faune qui la fréquente. Et comme les ongulés sont principalement inféodés aux biotopes forestiers, les gestionnaires forestiers sont directement concernés.
Le sanglier, profite de l’augmentation des surfaces forestières qui lui offre le gîte, pendant que la culture du maïs lui offre une table de roi, ce qui explique le million d’animaux prélevé chaque année, chiffre en constante augmentation. Il perturbe parfois la régénération naturelle en consommant l’intégralité des fruits forestiers, ou en déracinant les jeunes plants lors de ces fouissements.
Le chevreuil, grand gagnant de l’enrésinement et de tous types de forêts, se nourrissant de semi-ligneux (feuilles de ronces, jeunes pousses arbustives, etc.) il trouve sans sortir de la forêt le gîte et le couvert. Ses dégâts alimentaires (il affectionne particulièrement les feuillages et les jeunes pousses) sont très variables selon les endroits et les contextes, mais ses dégâts comportementaux, de frottis sur les jeunes arbres marquant le territoire des brocards sont redoutables.
Le cerf élaphe, animal de plaine et des grandes forêts par excellence, voit ses effectifs exploser à tel point qu’il en vient à coloniser tous les massifs montagneux de France. Il commet les mêmes dégâts que le chevreuil, mais par son gabarit (cinq fois plus grand qu’un chevreuil), son appétit est bien plus important et il peut détériorer des arbres étant presque arrivés au stade adulte.
Les ongulés de montagnes, quasiment disparu durant le 20ème siècle, dont la remise en état des populations est essentiellement due aux chasseurs, a retrouvé une telle dynamique que ces animaux normalement cantonnés aux altitudes de montagnes donc avec peu de destinations forestières, se trouvent à descendre dans les vallées boisées, causant les mêmes dommages que le chevreuil.
Pour résumer, le succès de ce développement des ongulés sauvages s’est fait sur deux raisons :
- L’action des forestiers en augmentant drastiquement la surface forestière et permettant leur bonne gestion pour la filière bois que pour la biodiversité.
- L’action des chasseurs, par la réussite de leurs orientations politiques des années 60 (loi Verdeille, loi Finance 1968, application des Plans de Chasse qualitatifs et Quantitatif) sur un système proche du terrain.
Ces orientations prises au lendemain de la seconde guerre mondiale, où les populations d’ongulés étaient quasiment réduites à néant, ont connu plusieurs facilités :
- Absence de grands prédateurs (loups, ours, lynx) pour les chasseurs
- Volonté industrielle nationale de mettre sur pied une véritable filière bois sur 50 ans à grand renfort de subvention d’Etat pour les forestiers, donc augmentation et création d’habitat forestier
- Anticipation bien sentie de la part du monde de la chasse, qui avait parfaitement vue la fin de la chasse populaire du petit gibier de plaine et qui s’est rabattue à temps sur le grand gibier, jusque là plutôt réservé à la vénerie et à une certaine élite.
Bref, après ce constat sur les raisons de l’explosion des ongulés et de stabilité positive de la situation générale de la faune forestière française, les problèmes que le gibier occasionne en forêt demeurent. Ou plutôt les ongulés, car les renards, blaireaux, et autres oiseaux (bécasses des bois, tourterelles, etc.) n’ont aucun impact négatif sur la sylviculture. Ce sont donc principalement les cervidés, qui occasionnent la majorité des dégâts, comportementaux ou alimentaires sur la forêt posent un problème aux forestiers. Ces dégâts ciblent de jeunes arbres, du stade juvénile au stade adolescent, avec comme conséquence la mort immédiate ou différée de l’arbre. Par endroit, les surpopulations de gibiers parviennent à mettre en péril la gestion forestière, interdisant tout renouvellement naturel ou artificiel des forêts.
Ainsi arrivent les regrettables conflits entre chasseurs et forestiers. Car contrairement au monde agricole, les chasseurs n’ont pas signé d’accords permettant l’indemnisation des dégâts de gibier. En effet, la situation et la vision de la forêt française durant les années 60 n’étaient pas celle de maintenant. Les forestiers doivent ainsi rembourser ces dégâts sur leurs fonds propres. Et en arrivent à des solutions radicales comme l’engrillagement, lorsque la confrontation s’envenime.
Les forestiers répondent alors par des locations de baux de chasses annuels à des tarifs parfois exorbitants, menant parfois à une politique forestière néfaste car quand la valeur chasse dépasse la valeur bois, alors l’effort sylvicole est abandonné au grand dam de la filière forestière.
Certains chasseurs, faisant monter les enchères pour d’obscures raisons propres à chacun (voisinage, orgueil…), se comportent comme des consommateurs : « je paye, donc je veux du gibier en nombre », au prix d’entorses à l’éthique et à l’image de la chasse, surtout en ce début de 21éme siècle.
Et quand la société civile se mêle de cette alchimie complexe, pléthore de solutions utopiques à l’emporte-pièce sont proposées : retour des grands prédateurs, professionnalisation de la chasse, stérilisation par épandages de médicaments, piégeage massif, ou bien sanctuarisation intégrale des forêts et abandon de toute vision productive de bois.
Alors que l’on pourrait retrouver la vision du forestier chasseur, celle des bons équilibres sylvo-cynégétique, pour une forêt giboyeuse mais sans excès, tout en étant productive de bois sans être totalement industrialisée.
Une forêt où le forestier chasseur ne voit pas les choses comme un tableur Excel©, c’est-à-dire qui peut tolérer un certain pourcentage raisonnable de dégâts occasionnés par le gibier, si la part sociale de la chasse et de l’opinion publique ou tout simplement le bien commun le suggère. Et inversement, pas non plus comme un consommateur de chasse, demandant chaque week end un tas de gibier faisant office de cibles mouvantes pour du tir de fête foraine.
Dans cette vision pondérée, on trouve l’impérieuse nécessité d’appliquer les bonnes pratiques sylvicoles comme les bonnes pratiques cynégétiques. Pour les premières, il s’agit d’une forêt diversifiée, ayant en considération des questions environnementales, paysagères et sociales, tout en maintenant un objectif initial affirmé pour une forêt productive de bois d’œuvre.
Pour la seconde, il faut généraliser une chasse éthique augmentée par une vision naturaliste, avec une forte vision quantitative et qualitative des plans de chasses, pour maintenir des populations d’ongulés à des effectifs normaux et avec une structure sociale saine. C’est-à-dire parler de sexe-ratio, et de façon générale, faire vieillir les populations, dont actuellement seul moins de 10% franchissent le seuil d’espérance de vie de 4 ans alors qu’elles pourraient théoriquement en espérer au moins le double. Cette vision scientifique du chasseur se complétera parfaitement avec les techniques de gestion forestière moderne (placettes témoins, IBP, etc.), où les analyses se feront sur des données et non pas au doigt mouillé, permettant une sortie par le haut à ces deux parties si intimement liées depuis la nuit des temps.